Martijn van den Bel
INRAP, Guyane
e-mail: martijn.van-den-bel@inrap.fr.
Un site amérindien avec une vocation d’espace funéraire a été découvert sur le terrain cadastré AM 43, nommé Sable Blanc Est dans la Commune de Iracoubo, Guyane française. En 2006, un diagnostic préventif a été réalisé par l’Inrap sur une partie de la parcelle. Trois secteurs décapés dans la zone centrale de la parcelle ont clairement montré une distribution spatiale de deux ensembles funéraires représentés par multiples vases funéraires localisées sur un affleurement naturel. Les dépôts funéraires sont enterrés en plusieurs façons en permettant de distinguer une stratigraphie sociale. Les récipients non décorés évoquent une utilisation quotidienne et une datation C14 permet d’avoir une première fourchette chronologique entre la fin du Xème et la première moitié du XIIème siècle après J-C. Ce site est pour l’instant le seul site funéraire ou véritable nécropole à l’ouest de Cayenne.
Mots clés: site funéraire, distribution spatiale, Guyane Française.
An Amerindian funerary site was discovered on a parcel registered as AM 43 and named the Sable Blanc Est site in the Community of Iracoubo, French Guiana. In 2006, a survey was carried out by Inrap members on a part of the designated area. The central zone, situated on a natural levee, was tested by means of a mechanical shovel and clearly evidenced a spatial separation of two funerary areas which is represented by multiple funerary vessels. The vessels are buried in various ways which may allow us to distinguish a certain level of social stratigraphy. The non decorated vessels evoke a daily use and a radiocarbon dating suggests an occupation between the end of 10th and first half of 12th century AD. At the moment, this site is the only funerary site or true necropolis situated to the West of the Island of Cayenne.
Keywords: funerary site, spatial distribution, French Guiana.
Um sítio ameríndio com uma vocação de espaço funerário foi descoberto sobre o terreno cadastrado como AM 43, nomeado Areia Branca Leste na Comuna de Iracoubo, na Guiana francêsa. Em 2006, um diagnóstico preventivo foi realizado pelo Inrap sobre uma parte da área. Três setores decapados na zona central mostraram claramente uma distribuição espacial de dois conjuntos funerários representados por múltiplos depósitos funerários localizados sobre um afloramento natural. Os depósitos funerários são enterramentos diversos, permitindo distinguir uma estratigrafia social. Os recipientes não decorados evocam uma utilização diária, uma data C14 permite situar o período cronológico entre o fim do século X e a primeira metade do século XII de nossa era. Nesse momento, este sítio é o único sítio funerário ou verdadeira nécropole ao oeste de Caiena.
Palavras-chave: sitio funerário, distribuição espacial, Guiana Francesa.
Les sites funéraires archéologiques connus en Guyane sont toujours localisés en dehors des sites d’habitat. Seules les sépultures secondaires, mises en urne après incinération ou après décomposition du corps, sont pour l’instant repérées. Les nécropoles les plus remarquables et les mieux connues sont localisées dans les grottes des collines de Ouanary, qui ont livré des urnes funéraires élaborées (Rostain 1994:103). |
Il y a peu de sites funéraires connus le long des Guyanes côtières. Le site Sable Blanc Est, localisé à l’ouest d’Iracoubo, est très intéressant car il se compose de trois aires distinctes ayant chacune une fonction spécifique. Le site d’habitat Iracoubo Ouest a été trouvé en 2003, au sommet du chenier de la RN1, lors des prospections faites dans le cadre de l’Action Collective de Recherche (ACR) « Préhistoire du littoral de Guyane » (Migeon et Mestre 2004). En 2005, un cimetière d’urnes a été découvert sur une élévation du relief au sud de ce chenier, qui fit l’objet de deux interventions archéologiques par le SRA (Service Régional de l’Archéologie) et un dernier par l’Inrap (Gassies et Lemaire 2005, 2006; Van den Bel 2006). On peut également signaler que la partie la plus méridionale de secteur est couverte de petites buttes surélevées (Rostain et al. 2008). Toutefois, la contemporanéité de ces trois aires archéologiques n’est pas encore attestée.
La fouille de la nécropole, menée par une équipe de l’Inrap (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives), a fourni des données originales sur les modes d’inhumation jusqu’alors peu connus dans l’ouest guyanais. Les 1.200m2 fouillés par décapage montrent l’existence d’un cimetière avec différents types des sépultures. Ces modes d’enterrement sont très différents de ceux reconnus dans les grottes et puits funéraires de culture Aristé, qui sont propres au bassin de l’Oyapock et le nord de l’Amapa. Ils se rapprochent plus de certains des modes d’inhumation observés sur le site de Kwatta-Tingiholo, localisé sur le littoral central du Suriname. L’étude comparative de ces sites permet de distinguer différentes pratiques funéraires de la côte des Guyanes.
Si les sites funéraires précolombiens de l’est de Guyane française ont été décrits (Petitjean Roget 1980, 1983, 1993; Rostain 1994), il n’en est pas de même pour ceux l’ouest. Seules deux urnes funéraires ont été trouvées sur le littoral occidental, à Yalimapo/Les Hattes (Cornette 1987; Janin 2002; Thomas 2002). La première est une sépulture secondaire dans une jarre globulaire recouverte d’une jatte évasée49. L’autre urne est également globulaire avec un col étroit.
Dans l’Ile de Cayenne, deux structures trouvées du site de Katoury sont peut-être funéraires. Ce sont des vases entiers et renversés et avec de grands fragments de platines disposés à côté (Jérémie 2002; Mestre 2005). Sur le Maroni, dans la Crique Sparouine, 9 fosses ovoïdes en contenant des céramiques entières, ont été interprétées comme des inhumations et 2 dépôts céramiques comme urnes (Van den Bel et al. 2007) Enfin, près de Malmanoury, un site amérindien du XIXème siècle a livré sept inhumations primaires et une sépulture secondaire en jatte (Van den Bel et al. 2006).
Plus à l’ouest, au Suriname, plusieurs sépultures ont été découvertes sur des sites arauquinoïdes situés sur la bande littorale (Geijskes 1961; Boomert 1980; Versteeg 1985, 2003). Des sépultures furent exhumées dans le tertre résidentiel d’Hertenrits, à l’ouest du pays. Différents modes d’enterrements y ont été reconnus: sépultures primaires ou secondaires en urnes, et même mixtes, primaires et secondaires (Geijskes 1964; Boomert 1980). Le site Peruvia-2, à l’ouest du fleuve Coppename, a livré deux urnes funéraires, dont une, munie d’un couvercle, contenait des restes humains (Versteeg 1985:722-723).
L’unique véritable nécropole du Suriname est Kwatta-Tingiholo. Deux datations ont été obtenues sur le matériel osseux de ce site, qui correspondent respectivement au VIIème et XIIème siècle notre ère (Versteeg 2003). Une partie du cimetière fut fouillée par Dirk Geijskes dans les années 1950, livrant 38 sépultures primaires. Quatre crânes étaient couverts avec une poterie entière déposée à l’envers. Il y avait également des sépultures secondaires dans de grands vases pouvant contenir des corps entiers (Khudabux et al. 1991). Certains crânes montrent une déformation crânienne volontaire (Tacoma et al. 1991).
On connaît mieux les sites funéraires à l’est de l’Ile de Cayenne. Onze nécropoles en grottes ont été reconnues dans les Monts de l’Observatoire et sur la Montagne Bruyère à l’embouchure de l’Oyapock et six au nord de l’Amapá (Meggers et Evans 1957; Petitjean Roget 1983, 1993; Rostain 1994). Dans cette dernière région, il existe également sept nécropoles enterrées, cinq en plein-air et trois puits funéraires (Goeldi 1900; Nimuendajú 1926; Meggers et Evans 1957; Hilbert 1957; Cabral et Saldanha 2007). Ces sont ces sépultures secondaires en urnes de la culture Aristé datées de 400 à 1750 apr. J.-C. (Rostain 1994). Après décomposition, les ossements étaient souvent placés dans des urnes anthropomorphes à décor polychrome. Ils sont la plupart du temps rassemblés dans des grottes ou, quand celles-ci sont absentes, dans des puits à chambre latérale (Figure 1).
Figure 1 - Localisation du site AM 43 (étoile) et les sites funéraires cités.
Le site de Sable Blanc Est est localisé à 1,5km à l’ouest du fleuve Iracoubo, dans la haute plaine côtier pléistocène. Cette plaine fait partie de la Série Coswine, formée de sables fins et d’argiles (bariolées) marines ou continentales (Mazéas 1961:9-10). La partie nord de la parcelle, en bordure la RN 1, est localisée sur un chenier à la limite de la basse plaine côtière holocène constitué par un talus naturel. La partie centrale fait partie d’une surélévation longitudinale de la Série Coswine qui a favorisé l’implantation humaine. Vers le nord, cette surélévation est délimitée par une petite crique et vers le sud par un bas fond. Les parcelles latérales montrent effectivement une dénivellation d’environ un mètre. Ici, le sol ferralitique a formé un horizon jaune aéré marqué par l’accumulation d’oxydes de fer (hématites), il s’agit d’un sol hydromorphe. Dans ce cas, le niveau d’argile porte le nom de goethite ou limonite (Figure 2).
Figure 2 - Relevé géologique schématique de la zone centrale de la parcelle AM 43.
Trois secteurs de fouille ont été ouverts dans la partie centrale composé de deux ensembles distincts de dépôts céramiques correspondant apparemment à des sépultures (Figure 3). Les vases se trouvaient pour la plupart à environ 30cm de profondeur (l’épaisseur de la couche de remblais) et étaient décapités par des travaux de nivellement récents.
Figure 3 - Plan géologique et archéologique de la parcelle AM 43.
Le premier ensemble, au nord-ouest, conserve 28 dépôts céramiques répartis dans 23 fosses, ainsi que deux concentrations de tessons de céramique disposés à plat et quelques trous de poteaux (Figure 4). Cet ensemble n’a pas été fouillé intégralement et se poursuit très vraisemblablement sur les parcelles adjacentes. La deuxième concentration contient 19 céramiques funéraires réparties dans 16 fosses, ainsi qu’une concentration de tessons à plat et cinq trous de poteaux (quatre d’entre eux formant une structure). Un échantillon de charbon (KIA 33862, 1.000 ± 35 BP), provenant d’un urne de la deuxième concentration (structure 8), a livré une première datation calibrée à 2 sigma de 973 - 1059 apr. J-C (64,2 %) et 1075 - 1154 AD (30,2 %)50.
Figure 4 - Plan général de la zone centrale avec la répartition des structures.
En 2007, une fouille programmée a été réalisée par Stéphen Rostain (CNRS, UMR 8096 Nanterre) sur le site amérindien au bord de la route nationale. Les recherches sur 330m² ont livrées des trous de poteaux, dépotoirs de céramiques, plusieurs foyers et caches de céramique en constituant la partie d’un site de habitat (Rostain et al. 2008). En attendant les datations C14, la céramique décorée de ce dernier site est attribuée au complexe Barbakoeba défini par Arie Boomert dans les années 1990 sur l’Est du Surinam (Boomert 1993). Malgré le fait que les décors sont rares, il s’agit principalement de colombins apparents et de modelés anthropo-zoomorphes appliqués (Rostain et al. 2008:37). Il est important de répéter que nul élément de décor caractéristique barbakoeba n’a été observé sur les urnes exhumées dans la zone centrale discutée dans cet article. Il est fort possible que ces deux sites ne sont pas contemporains ou que les récipients non décorés –malgré la présence de que deux céramiques avec de l’engobe rouge- ont été préférés pour les pratiques funéraires quant à un contemporanéité chronologique des sites. Cinq estimations par thermoluminescence sur tessons provenant de cette zone donnent une date aux alentours du XVème siècle de notre ère qui soutiennent l’hypothèse de deux occupations différentes (comm. pers. Migeon 2008).
Les vases se trouvant immédiatement sous la couche de remblai, ont été touchés par les travaux de nivellement récents. Aussi, il manquait souvent le fond ou la partie supérieure d’un vase ou d’un fragment de platine. Presque tout le mobilier archéologique a été trouvé dans des fosses. Il se compose essentiellement de céramique: vases entiers, moitiés ou grandes parties de vases (encastrés), platines à manioc et tassements de tessons (bords, fonds et panses). Aucun ossement, calcifié ou non, n’a été trouvé dans les récipients.
Les vases étaient remplis d’un sédiment sablo-argileux d’une couleur grise qui appartient à la couche de goethite ou limonite sub-jacente. Quelques vases du secteur 3 étaient remplis de sable blond ne venant pas du sédiment encaissant, mais correspondant plutôt à un sable de chenier rapporté afin de couvrir les urnes et formant peut être une forme de tertre artificiel.
Dans chaque ensemble, plusieurs types de dépôts céramiques et différentes combinaisons de dépôts à l’intérieur d’une même fosse ont été identifiés. Les dépôts céramiques sont agencés de cinq manières différentes (Types) et dispersés dans les deux ensembles funéraires (Figures 5, 6, 7 et 8):
1. Un vase entier est posé sur le fond de la fosse et recouvert d’un autre récipient à l’envers,
2. Un vase entier est posé à l’envers sur le fond de la fosse,
3. Un grand fragment de vase (bord, fond ou moitié de vase) est déposé dans la fosse,
4. De grands tessons sont entassés dans la fosse,
5. Une fosse (souvent carrée) forme un 'coffre' dont les parois sont faites avec une platine à manioc posée verticalement ou de grands morceaux de platine. Il peut y avoir des offrandes de petits vases entiers ou d’une pierre polie.
D’autres dispositions ont été observées ponctuellement, mais ces cinq types sont les plus représentatifs des deux ensembles funéraires. Quatre structures de céramiques ont été trouvées sans fosse (visible) et considérées comme des concentrations de tessons à plat. Ces structures peuvent bien sûr être liées à l’ensemble funéraire. Si les céramiques présentent toutes le même genre de pâte (dégraissant de chamotte), l’épaisseur des parois est très variable (de fine à épaisse), tout comme les formes: globulaire, carénée, évasée, etc. Il n’y a aucun décor, sauf de la peinture rouge à l’intérieur de certains récipients. Pour l’instant on ne peut guère attribuer l’ensemble céramique à un complexe céramique connu de la côte guyanaise.
Figure 5 - Plan thématique des deux concentrations funéraires.
Figure 6 - Structure 90 et 91 (secteur 1).
Figure 7 - Structure 17 et 21 (secteur 3).
Figure 8 - Structure 6 (secteur 3) et impression du secteur 1.
Les 39 fosses détectées sont liées à la poterie funéraire. Elles ont été creusées jusqu’au substrat vierge, constitué d’une argile sableuse et bariolé par l’oxyde de fer. Si les fosses sont parfois difficiles à détecter, la taille du récipient qu’elles contiennent permet de déterminer leur dimension. Le remplissage de la fosse est souvent moins foncé que celui des vases, mais contient parfois quelques tessons. La plupart des fosses était remplie de goethite, ce qui pourrait indiquer qu’elles avaient été re-ouvertes ou que le récipient y été partiellement enterré.
Les fosses sont toujours un peu plus grandes que le vase qu’elles contenaient. S’il y avait plusieurs vases dans une fosse, la forme du creusement peut être irrégulière. Sinon, une fosse de forme irrégulière peut résulter de creusements successifs ou de la réouverture de la structure. Les re-creusements ou re-coupements des fosses montrent nettement que les Amérindiens connaissaient et géraient parfaitement la zone funéraire et la distribution des fosses.
Toutes les fosses sont rondes ou ovoïdes, sauf les dépôts céramiques en coffre de Type 5 qui ont une forme rectangulaire ou carrée. Une ou deux platines à manioc placées verticalement délimitent nettement les parois ou un angle de la fosse (Figure 7). Seuls ces dépôts avaient quelquefois des offrandes céramiques ou lithiques. Ainsi, au fond de la structure 6 du sondage 3, était déposée une pierre polie (dolérite) de 62cm de long et de 14kg.
Figure 9 - Le mobilier des structures 8, 19 et 21 (secteur 3).
La structure 21 du même sondage a livré (Figure 9):
- une platine à manioc (diamètre 80cm) et une demi-platine placée perpendiculairement,
- une bouteille entière avec un col évasé (hauteur 23cm; diamètre du col 6cm; épaisseur du parois 5mm) déposée sur le fond de la fosse,
- une petite céramique peinte en rouge à l’intérieur et sur le bord extérieur (épaisseur parois 5mm) à l’intérieur de laquelle on identifie un motif géométrique peint en blanc sur fond rouge (plages horizontales et verticales alternées).L’ensemble était couvert par un grand fragment de poterie qui servait de couverture.
Dans le sondage 2, une fosse ronde et isolée a été trouvée en bordure du sondage. La fosse a un diamètre de 90cm et une profondeur de 20cm de profondeur. L’intérieur de la fosse était pavé avec des morceaux d’argile brûlée et de tessons de céramique. Le remplissage sablo-argileux, d’une couleur grise très foncée, contenait de fortes concentrations de charbons. On suppose que la fosse a pu servir de structure de chauffe ou de combustion.
Les trous de poteaux
Quelques trous de poteaux ont été repérés. Dans le secteur 1, il y a six trous de poteaux d’un diamètre variant de 17 à 24cm et d’une profondeur de 8 à 18cm. Toutefois, leur disposition ne permet pas de reconstituer une structure. En revanche, à l’est de la concentration des vases funéraires du secteur 3, il y a quatre trous de poteaux qui forment une structure carrée d’environ 1,5 par 1,5m (Locus 1). Leur diamètre est de 15 à 18cm et leur profondeur de 21 à 32cm. Les poteaux étaient calés avec des tessons (Figure 5).
Il faut avant tout constater que les structures déterminées sont, pour la plupart, des fosses contenant des vases en céramique. Aucun ossement humain n’a été trouvé, ni à l’intérieur des vases, ni dans les remplissages des fosses, ces derniers ne fournissant pas de grandes quantités de charbon. C’est donc principalement les types de dépôts et la distribution spatiale des récipients qui suggèrent un ensemble funéraire. Si les vases et les petites fosses évoquent plutôt des sépultures secondaires, les fosses carrées ou coffres ont pu contenir des inhumations.
L’absence de forte concentration d’autres types de structures, tels des puits, des fosses ou des trous de poteaux, et d’une couche archéologique épaisse (malgré le nivellement), laisse supposer que cette zone a vraisemblablement été visitée et utilisée exclusivement comme site funéraire. On peut vraisemblablement en déduire que le plan de construction identifié à partir des quatre trous de poteau mis au jour dans le secteur 3, l’ensemble de trous de poteaux du secteur 1 et la fosse du secteur 2, sont reliés aux pratiques funéraires du groupe amérindien utilisant cette espace sépulcral.
Il est possible que les corps aient été décharnés à l’air libre sur place ou dans un endroit déterminé à l’extérieur du site. Puis, les ossements étaient récupérés, et probablement traités, avant d’être déposés dans une urne. La dimension de certains récipients indique que le squelette ou quelques os sélectionnés ont été brisés ou concassés avant d’y être déposés. De telles pratiques étaient encore utilisées à l’époque coloniale dans les Guyanes (Roth 1924; Rostain 1994). Il semble les dépôts de fragments de poterie de type 4 soient également le résultat de coutumes post-mortem. Il est en effet probable que ce type de dépôt ne contenait ni ne couvrait des restes humains, mais qu’il faisait partie de la cérémonie d’enterrement. Il pourrait s’agir d’une pratique similaire à celle des Wayana actuels qui brisent la céramique et détruisent les biens du défunt pendant la cérémonie d’enterrement (de Goeje 1943:36; Kloos 1973:26-29; com. pers. Renzo Duin 2005).
Un autre point particulier est la simplicité des vases sans décor, qui pourraient tout aussi bien être de la vaisselle domestique. De ce point de vue, ils sont très différents des urnes polychromes à silhouette et modelés anthropomorphes des sites funéraires Aristé. Les urnes de Sable Blanc Est ressemblent à des récipients d’usage courant et l’on peut se demander si elles furent fabriquées spécialement pour un usage funéraire ou si ce sont des vases domestiques réutilisés à cette fin.
Enfin, les différents types de dépôt pourraient correspondre à des pratiques funéraires distinctes selon le statut du défunt, ce qui indiquerait une stratification sociale de la communauté. L’existence de deux ensembles funéraires séparés soutient cette hypothèse: chaque unité sociale pourrait être identifiée et enterrée dans un lieu spécifique. C’était le cas au début du XXème siècle chez les Palikur d’Okawa, au nord de l’Amapá du Brésil (Nimuendajú 1926). Un cimetière doit être remarquable et identifiable par les membres d’une même ethnie. Il faut alors que des signes soient visibles en surface, comme des fosses laissées ouvertes, des urnes enterrées partiellement, des mégalithes ou des petits monticules (Guapindaia 2001:167). La présence du sable blond dans quelques vases du deuxième ensemble indique qu’un tertre avait été édifié au-dessus, signalant un groupement d’urnes correspondant peut-être à une unité sociale comme, par exemple, un clan. Si l’on poursuit ce raisonnement, le dépôt en coffre (Type 5) pourrait correspondre à la sépulture d’un chef ou d’un membre principal de la famille ou du clan. Le coffre même peut avoir une signification symbolique: il reproduirait la maison, les platines verticales étant les murs et le grand tesson déposé au-dessus le toit51. Dans ce cas d’inhumation primaire, le défunt serait déposé dans une maison symbolisée par le coffre, accompagné d’offrandes de céramique utilisées dans l’au-delà.
Si la mort et les conceptions qui s’y rattachent sont incontournables pour comprendre les comportements sociaux amérindiens précolombiens, elles sont cependant difficiles à saisir à partir du seul mobilier archéologique.
Les fouilles Sable Blanc Est ont clairement montré une distribution spatiale de deux ensembles de vases funéraires52. Ils font probablement partie d’une aire funéraire installée sur un affleurement étroit et se poursuivant dans les parcelles voisines avec vraisemblablement d’autres concentrations. Ce site est interprété comme une nécropole amérindienne occupant une surélévation naturelle et constituée de plusieurs concentrations d’urnes. Certains ensembles, ou tous, étaient signalés par un tertre artificiel. Chacun d’entre eux a pu représenter une famille ou un clan provenant d’un ou plusieurs villages de la région.
Les deux urnes d’Awala-Yalimapo et la nécropole de Sable Blanc Est sont les seuls sites funéraires connus à l’ouest de l’Ile de Cayenne. On peut d’ores et déjà distinguer trois traditions funéraires en Guyane française (Figure 1):
- La première tradition est celle des cimetières d’urnes en grotte et en puits de culture Aristé, à l’est de la Guyane française. Ce sont des sépultures secondaires, après désincarnation ou crémation, dans des urnes globulaires ou à silhouette complexe, avec un décor élaboré polychrome et souvent des modelés appliqués représentant des membres humains. Ces urnes étaient rassemblées dans des grottes avec des offrandes de céramique, de pierre, et parfois des artefacts de verre et de métal européens. Elle est également présente en Amapá, où des puits à chambre latérale peuvent remplacer les grottes53 (Meggers et Evans 1957) et, dans certains cas, les urnes sont enterrés dans le sol ou déposées en surface (Hilbert 1957).
- La seconde tradition, déterminée à Sable Blanc Est, est caractérisée par une nécropole composée de plusieurs concentrations (peut-être marquées par un tertre) de sépultures de types variés: inhumations secondaires en urne non décorée ou couvertes par un récipient ou un grand fragment de céramique, sépulture primaire en coffre fait de platines et de grands tessons de vase. Certains dépôts présentent des offrandes de céramique ou de pierre. Il est probable que chaque concentration représente une unité sociale de la communauté. Cette tradition n’est pas datée avec certitude, mais elle pourrait se situer autour du début du second millénaire de notre ère.
- La troisième tradition, plus diffuse, correspond à des inhumations primaires ou secondaires dans des fosses ovoïdes localisées sur le site d’habitation même. Une ou plusieurs poteries entières sont parfois déposées en offrande. Des dépôts de céramique, des fragments de poterie entassé, ou des inhumations secondaires en urne peuvent accompagner les tombes primaires. Ce type de sépulture apparaît dans l’Ile de Cayenne au Mont Grand Matoury (Grouard et al. 1997), Katoury (Mestre 2005), les Terrasses du Mahury (com. pers. Dauphin et Gassies 2007) ou dans l’intérieur, dans le site BP-230 sur le Sinnamary (Vacher et al. 1998) et à la Crique Sparouine (Van den Bel et al. 2007).
Les deux premières traditions semblent partager des pratiques funéraires similaires:
- les nécropoles occupent un lieu spécifique dédié à une fonction funéraire,
- elles sont séparées du village,
- et les différents types de dépôts funéraires pourraient représenter une certaine stratigraphie sociale.
La dernière tradition, que l’on rencontre dans des sites divers, se distingue des autres par la localisation de la sépulture dans l’espace résidentiel, du moins, dans une aire non dévolue à des fins funéraires. Les rites funéraires précolombiens ont probablement été très variés d’une ethnie à l’autre et beaucoup de pratiques n’ont laissé aucune trace. Pourtant, au fur et à mesure des découvertes archéologiques, les pratiques funéraires commencent à être mieux connues.
L’auteur voudrait remercier l’équipe de fouille d’Inrap; Sandra Kayamaré, Mickaël Mestre et Matthieu Hildebrand dont le dernier m’a aidé à réviser ce travail. Ensuite, je voudrais remercier Eric Gassies et Georges Lemaire du SRA pour leur aide sur le terrain et Stephen Rostain pour ses suggestions et les corrections de mon terrible franco-hollandais. Et finalement Denise Schaan pour l’aide avec le résumé portugais.
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